La fermentation est un processus connu depuis l’Antiquité. Mais la naissance du rhum daterait du milieu du XVIIe siècle : un texte évoque en effet le breuvage sous le nom de «tue-diable» et «rumbullion». L’expression «tue-diable» est une traduction de l’anglais «kill-devil » qui a également donné en français «guildive», l’un des nombreux termes argotiques désignant le rhum. Quant au terme «rumbullion», variante de «rumbustion»», il s’agit aussi d’un mot anglais signifiant «grand tumulte».
À la fin du XVIIe siècle, la désignation «tue-diable» disparaît et le mot rum (abréviation de «rumbullion») est alors utilisé. En 1723, une francisation du terme est tentée sous le nom de rome. Mais en 1768, la graphie « rhum » va définitivement s’imposer.
F(r)angourin. Du malgache « fangorinana », le fangourin désigne un mélange de jus de canne (aussi appelé vesou) et d’eau fermentée (et non distillée). C’est aussi le nom du pressoir à cannes utilisé pour en extraire le jus.
Arack (ou arak). Jus de canne fermenté puis distillé dans un alambic. Le mot d’origine serait originaire d’Inde. Aujourd’hui, « la raque » en créole réunionnais désigne l’alcool en général avec des connotations péjoratives. A ne pas confondre avec l’arak ou l’arac (araq en arabe), qui est une eau-de-vie de vin traditionnelle, à laquelle on rajoute de l’anis, que l’on retrouve au Proche-Orient.
La « Saccharum officinarum » ou « canne noble » est probablement originaire de la Nouvelle-Guinée, en Océanie. Entre le Xe et le Ve siècle, elle se serait répandue graduellement en Asie du Sud-Est avant d’atteindre l’Inde et la Polynésie. Ce sont les Perses qui introduisent la culture de la canne à sucre sur les rivages de la Méditerranée orientale au VIe siècle avant notre ère. Les Grecs et les Romains connaîtront plus tard l’usage du sucre, mais davantage comme médicament que comme aliment.
C’est en 637 de notre ère que les Arabes découvrent la canne à sucre. C’est eux qui l’auraient introduite dans l’océan Indien, notamment à Madagascar vers le IXe siècle. Avec la découverte du Nouveau Monde, la canne à sucre franchit l’Atlantique. Christophe Colomb l’introduit à Saint-Domingue en 1493. Elle s’y répand avec une extrême rapidité, d’abord au Brésil, à Cuba, au Mexique et aux Antilles. A la Réunion, la date d’introduction de la canne à sucre reste incertaine. Elle aurait été ramenée sur l’île via Madagascar, mais elle ne sera exploitée qu’à partir du début du peuplement permanent de l’île.
La production de rhum à La Réunion, 350 ans d’histoire
L’existence de la canne à sucre est confirmée à La Réunion dès les premières années du peuplement. La canne a d’abord servi à la production d’un vin de cannes, appelé fangourin. Les premiers habitants le produisent pour leurs besoins domestiques. Les cannes utilisées sont jeunes (6 mois) car elles contiennent davantage de jus.
Lorsque la Compagnie des Indes Orientales administre l’île pour le roi de France, elle ne s’intéresse pas à la canne. Dans une visée mercantile, elle préfère le café, réservant la culture de la canne à sucre à Maurice. La production d’alcool reste artisanale. Tantôt autorisée (mais fortement légiférée), tantôt interdite, la fabrication d’alcool de cannes à La Réunion s’avèrera au fil du temps un chemin semé d’embûches.
On recense pour la première fois sur l’île un alambic servant à la production d’arack. L’ancêtre du rhum porte aussi les noms de « tafia» ou « guildive ». Arack et rhum sont à l’époque déjà concurrencés par des vins importés vendus à bas prix. Toutefois, l’administration décide d’encourager la production de rhum en accordant une prime sur l’exportation. L’arack sera interdit en 1826, mais le circuit marron (clandestin) s’organisera toujours.
Charles Panon-Desbassyns monte la première distillerie moderne. Au début du XIXe siècle, le destin de La Réunion change. La France perd ses îles à sucre : Saint-Domingue (actuelle Haïti) en 1803 et l’Ile de France (actuelle Maurice) en 1815. L’Etat décide alors de transformer Bourbon en île à sucre pour les besoins de la métropole. La canne devient une culture d’exportation. L’industrie sucrière produit une quantité de sirop relativement importante qui reste inutilisée. Les distilleries vont alors utiliser ce co-produit de la canne, appelé mélasse, pour faire du rhum. La Réunion entre dans l’ère de la production de rhum traditionnel de sucrerie. Au XIXe siècle, la production d’alcool devient une industrie à part entière, sous l’étroite surveillance de l’administration.
Première organisation administrative de l’industrie du rhum dans l’île Bourbon. L’administration française crée la « Ferme des Guildives », société chargée du privilège exclusif de fabriquer et de débiter du rhums et de l’arack en gros. Ce système, très restrictif pour les producteurs, va générer des circuits marrons. Il prend fin en 1831. Le privilège est alors confié à La Société des Guildives jusqu’en 1846.
Création de la Maison Isautier. Elle est aujourd’hui la plus ancienne distillerie réunionnaise et la plus ancienne entreprise privée encore en activité.
Suite à l’abolition de l’esclavage en 1848, de nouvelles mesures législatives sont prises pour assurer les recettes du Trésor. En 1850, le droit de distiller du rhum avec tous les produits de la canne est rendu possible à toute personne possédant une licence de fabrication, moyennant 1000 francs par an. L’industrie du rhum devient libre, mais est placée sous l’étroite surveillance des autorités publiques qui imposent des taxes dont les appellations et les prix varient d’année en année. Avec cette nouvelle législation, le nombre de distilleries s’accroît et celui de débits de rhum explose. En 1856, l’ouverture d’une cantine (débit de boisson) est soumise à un droit de patente fixe de 50 francs par an.
Création de la distillerie Savanna. On retrouve les traces de la première distillerie Savanna vers 1870 sur le domaine de Savannah à Saint-Paul. C’est en 1992 que l’usine est transférée à côté de l’usine sucrière de Bois-Rouge à Saint-André. Depuis 2012, la distillerie appartient au groupe Réunionnaise du Rhum, détenu par plusieurs actionnaires dont le groupe Chatel.
Création de la distillerie Rivière du Mât, baptisée ainsi en référence au cours d’eau du même nom. Ce n’est qu’en 1984 qu’elle sera déménagée sur le site de Beaufonds à Saint-Benoît et intègrera le groupe La Martiniquaise en 2012.
L’Etat français réquisitionne la production d’alcool dans sa totalité. Le rhum trouve alors plusieurs utilisations : il a des usages hygiéniques, sanitaires, mais sert aussi à la fabrication des explosifs. Des rations de rhums sont par ailleurs distribuées aux soldats pour leur remonter le moral.
L’appellation «rhum» est réglementée pour la première fois via un décret qui indique : «La nomination de rhum ou de tafia est réservée à l’eau-de-vie provenant exclusivement de la fermentation alcoolique et de la distillation soit des mélasses ou sirops provenant de la fabrication du sucre de canne, soit du jus de canne à sucre».
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le rhum est revendu en métropole à des prix dérisoires ce qui entraîne, en 1920, un effondrement des cours et une crise sévère pour les îles productrices. Les viticulteurs français voient d’un mauvais œil cette concurrence qu’ils jugent déloyale. Un contingent est alors instauré avec la loi du 31 décembre 1922. Ce régime contingentaire est toujours en vigueur aujourd’hui : sa répartition est discutée chaque année.
L’administration française ne voulant plus que les rhums se vendent en vrac pour mieux contrôler le commerce de l’alcool, 5 producteurs de rhum réunionnais (Sucreries de Bourbon, Sucreries Léonus Bénard, Société Adrien Bellier, Société Quartier Français et les Établissements Isautier) se regroupent au sein d’un Groupement d’Intérêt Économique: le G.I.E Rhums Réunion. En 1976, c’est la naissance du « rhum Charrette » ainsi baptisé à cause de son étiquette qui représente une « charrette bœuf » transportant de la canne, dessinée par le graphiste Eugène Daillot .
Depuis 2012, le GIE Rhums Réunion est détenu par la société Réunionnaise du Rhum. Le GIE Rhums Réunion dispose de ses propres installations de stockage et de conditionnement au Port où le rhum Charrette est assemblé à partir du rhum produit par les distilleries de l’île.
Le rhum traditionnel de sucrerie et le rhum traditionnel agricole sont officiellement définis et encadrés par la loi.
« La dénomination « rhum traditionnel » suivie du nom du lieu de distillation est réservée à l’eau-de-vie provenant exclusivement de la fermentation, réalisée dans l’aire géographique, de mélasses ou de sirops issus de la fabrication du sucre de canne ou de jus de canne à sucre […]. »
« La dénomination « rhum agricole » suivie du nom du lieu de distillation est réservée à l’eau-de-vie provenant exclusivement de la fermentation alcoolique réalisée dans l’aire géographique, du jus de canne à sucre […]. »
Inauguration de la Saga du Rhum. Le musée « La Saga du Rhum » est le fruit de la collaboration des trois distilleries de l’île réunies autour d’une ambition commune : la promotion du rhum réunionnais. Le projet, porté par feue Danièle Le Normand, directrice adjointe des Établissements Isautier, a pour objectif de valoriser les traditions locales et le patrimoine de la Réunion. Établissement touristique et culturel à visée éducative, il est aujourd’hui incontournable dans le sud de l’île.
Règlementation européenne. En 2008, le Parlement européen et le Conseil de l’Union Européenne établissent les règles générales relatives aux spiritueux, via la règlementation (CE) n°110/2008.
La Réunion obtient officiellement pour ses rhums une indication géographique (IG) auprès de l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité). Objectif : distinguer les rhums réunionnais et garantir aux consommateurs une qualité irréprochable dans le temps.
Le grog des marins
En 1655, l’Amiral Penn, membre éminent de la Royal Navy, institue une distribution quotidienne de rhum aux marins. En 1731, l’Amiral Vernon la remplace par un mélange constitué de deux volumes d’eau pour un volume de rhum avec un peu de citron pour lutter contre le scorbut. Ce mélange est baptisé «grog» en hommage au surnom de l’Amiral Vernon qui portait toujours une veste dont le nom était «grogram» (gros-grain, en anglais). Les Anglais prennent également l’habitude de marier le rhum à plusieurs autres ingrédients : thé, sucre, citron, cannelle… Ils baptisent ce cocktail «punch». L’origine du nom donne lieu à de nombreuses interprétations. La plus plausible est que « punch » viendrait du mot « panch » (hindi) qui signifie cinq, soit précisément le nombre d’ingrédients nécessaires à la composition d’un vrai punch.
Le « rhum usine »
Le rhum produit par les différentes distilleries était autrefois vendu en vrac par des dépôts centraux où détaillants et particuliers venaient s’approvisionner. On l’appelait le «rhum usine» ou le «rhum distillerie».
Nous remercions l’équipe du musée La Saga du Rhum à Saint-Pierre d’avoir participé à la rédaction de la partie historique de ce site et d’avoir donné son aimable autorisation pour reproduire certains documents historiques.
Créée à l’initiative des Établissements Isautier et réalisée avec la collaboration des deux autres distilleries de l’île de La Réunion, Savanna et Rivière du Mât, la Saga du Rhum ouvre ses portes au public en 2008. Installée au cœur de la plus ancienne distillerie familiale de l’île, toujours en activité aujourd’hui, la Saga du Rhum est située à Saint-Pierre de La Réunion, aux Portes du volcan et du Sud sauvage. Unique musée dédié aux rhums de l’île de La Réunion, son parcours de visite vous transporte dans une aventure historique, culturelle et sensorielle mêlant l’histoire d’une île à celle de ses habitants et à cette production traditionnelle.
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